Tout le monde en parle, beaucoup se demandent s’ils l’ont. Si vous vous êtes startuper, vous avez sans aucun doute entendu parler du product/market fit (PMF).
Le premier à employer le terme, Marc Andreessen, le définit ainsi :
Product/market fit means being in a good market with a product that can satisfy that market.
Sean Ellis a par la suite participé à populariser le terme en l’inscrivant comme un prérequis indispensable avant la croissance dans sa pyramide du marketing en startup.
Il y a un avant et un après PMF. Tant que vous ne l’avez pas trouvé, toute votre énergie doit être tournée vers cet objectif. Tout le reste (marketing, recrutement, relations presse… etc.) n’a d’intérêt que si cette première étape est franchie.
Essayer de faire croître une entreprise qui ne rencontre pas son marché, c’est un peu comme mettre de l’essence dans une voiture qui n’a pas de moteur. Ce n’est pas au marché de s’adapter à votre offre (d’être “éduqué”), mais à vous de comprendre profondément les besoins de votre segment d’utilisateurs avant d’accélérer.
A quoi ressemble un product/market fit
Pour Marc Andreessen, un PMF est évident :
…you can always feel product/market fit when it’s happening. The customers are buying the product just as fast as you can make it — or usage is growing just as fast as you can add more servers.
Autrement dit, si vous vous demandez si avez votre PMF, c’est que vous ne l’avez sans doute pas.
Il y a deux semaines, nous avons lancé un nouveau produit, Email Hunter. Posté 24h après son lancement sur Product Hunt, le produit a rencontré un succès immédiat.
Ça y est, nous avions notre PMF.
Tout ce que je pouvais interpréter comme de la traction sur nos précédents produits n’avait rien de commun avec ce dernier lancement. Voici les éléments caractéristiques que nous avons pu observer.
Une compréhension immédiate du produit
Je peux affirmer sans risque que plus de 95% des personnes qui sont arrivées sur Email Hunter ont compris ce que l’outil faisait. Ceux qui l’ont ensuite présenté dans leur blog avaient d’ailleurs souvent la même remarque : It does exactly what it says.
Pour Email Hunter, nous aurions même du mal à pitcher le produit pendant plus de 5 minutes. Il suffit d’essayer pour comprendre l’intérêt. En fait, tous les produits ne peuvent pas être aussi simples, mais ils faut en tout cas qu’ils le soient pour votre cible.
Une réaction forte à la découverte du produit
C’est le signe le plus facile à identifier au lancement du produit. On envoie quelques posts sur les réseaux sociaux, les notifications se succèdent et le trafic du site commence à s’affoler.
Le premier signe manifeste fut le nombre de votes qui a décollé sur Product Hunt.

Et les commentaires étaient pour la plupart carrément enthousiastes :

Nous avons également eu quelques commentaires négatifs, mais je vois ça d’un œil positif. Si les gens réagissent, c’est que le problème que l’on touche importe pour eux.
La pire réception que vous puissiez avoir, c’est plutôt l’indifférence.
Des premières ventes
Il arrive qu’un produit suscite beaucoup d’enthousiasme mais que les revenus ne suivent pas, notamment si vous proposez un business model freemium. Dans ce cas j’y vois deux raisons possibles :
- Si vous avez de la chance, il s’agit simplement de votre freemium qui est mal conçu. L’écart de valeur perçue entre votre offre gratuite et votre offre payante n’est pas suffisant.
- Sinon, c’est que votre produit importe pour l’utilisateur, mais pas suffisamment pour mettre la main à la poche. Dans ce cas vous n’avez pas votre PMF ; vous êtes dans la zone difficile du Nice to have.
Pour Email Hunter, la monétisation a également été validée puisque nous avons vendu une vingtaine d’abonnements en deux semaines.
Le bouche à oreille
Avoir un trafic croissant d’utilisateurs que l’on n’a jamais touché directement par son marketing est un excellent signe. Cela signifie que les utilisateurs parlent de votre produit à leur entourage naturellement.
Pour cela, rien de tel que de faire un tour dans Google Analytics dans les sites référents. Vous pourrez alors voir où on parle de vous : réseaux sociaux, sites de curation, articles, réseaux sociaux d’entreprise… Vous pouvez par exemple vous amuser à filtrer les sources avec le mot clé “mail” pour voir combien de trafic vous avez reçu depuis des webmails.

En B2B, ce type de mesure peut montrer que le produit a été partagé en interne.
Ce qu’il faut pour trouver un product/market fit
Tout cela parait très simple expliqué comme ça, mais trouver son PMF peut être long et laborieux. Si vous vous ne l’avez pas, votre seul objectif doit être de le trouver le plus rapidement possible.
Email Hunter a fonctionné immédiatement, mais notre parcours est loin d’être rose. Cela fait maintenant un an et demi que nous itérons sur différents projets.
Notre cas
Pour vous donner une idée de ce à quoi peut ressembler la recherche de son PMF, voici un historique de nos projets pendant un an et demi.
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Janvier 2014 : nous commençons sur un projet qui n’a absolument rien à voir avec ce que nous faisons aujourd’hui. Il s’agit de Jobclip, un outil permettant d’organiser sa recherche d’emploi. Un problème de monétisation est combiné à un problème de rétention qui rend la croissance difficile (les utilisateurs quittent le site quand ils ont trouvé leur emploi). Nous mettons le projet de côté au bout de 3 mois.
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Avril 2014 : nous partons sur du B2B avec un projet qui n’a rien à voir. Etonnés que les données des entreprises françaises soient si peu ouvertes et accessibles, nous décidons de créer une API qui fournit des informations sur plus de 5 millions d’entreprises françaises. Nous parvenons à vendre l’API à un certain nombre d’entreprises mais le problème que nous rencontrons ici, c’est la taille du marché.
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Mai 2014 : nous décidons donc de fournir ces informations d’entreprises au plus grand nombre en nous addressant aux commerciaux et marketeurs. Nous lançons simultanément deux sites permettant respectivement d’acheter un fichier de prospection en quelques clics et d’effectuer des recherches par filtres sur les entreprises françaises. Je pense que ce qui a pêché ici, c’est l’exécution. Nous avons manqué de focus et avons testé trop d’hypothèses d’un seul coup.
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Septembre 2014 : Nous mettons tout plat et prenons une nouvelle approche avec un moteur de recherche d’entreprises. Nous nous appuyons sur les enseignements tirés des produits précédents pour proposer une recherche d’entreprises par mot clés plus simple et plus puissante. La proposition de valeur que nous mettons en avant ne semble pas créer de traction.
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Janvier 2015 : Nous revenons à une proposition de valeur plus classique de réalisation de fichiers de prospection. Notre hypothèse est maintenant de réinventer entièrement l’expérience utilisateur, avec une constitution de fichier la plus simple et rapide possible. Après plusieurs mois nous avons une croissance régulière mais lente. Trop lente.
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Mars 2015 : l’idée d’Email Hunter nous vient. Cela semble tout de suite une bonne idée et nous décidons de développer le cœur du produit (l’API). Lorsque l’API est prête, nous créons en une semaine un site minimaliste (attention : MVP ne veut pas dire “moche”) pour que n’importe qui puisse tester l’outil. La traction se manifeste tout de suite alors que nous recherchons du feedback.
Nous avons également testé des mini-projets en parallèle comme Profilr, mais plus dans une optique marketing que d’une recherche de business models à part entière.
Ce que nous en avons retenu
Notre parcours est loin d’être exemplaire ; nous avons parfois passé trop de temps sur des produits en décalage avec le marché.
Toutefois, avec du recul, voici ce que je retiens pour trouver son PMF au plus vite :
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Toujours tester une hypothèse à la fois : C’est ce qui permet d’avancer de façon méthodique en validant successivement les éléments du business model. Andrew Chen explique d’ailleurs qu’un bon moyen de minimiser son temps avant PMF est de prendre 80% d’une entreprises ayant déjà son PMF et de réinventer les 20% restants en changeant la bonne brique du business model (segment de clients, pricing… etc.).
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Être capable de tout mettre à plat si cela s’avère nécessaire et ne pas tomber dans l’obstination : si un produit n’a pas fonctionné au bout d’un an, il a peu de chance de fonctionner les mois suivants sans changement radical. Quel est le pire : perdre un an ou perdre deux ans ?
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Capitaliser sur les apprentissages à chaque itération : l’erreur fait partie du parcours d’entrepreneur. Ce qui est interdit, c’est de faire deux fois la même erreur. Plus on apprend vite, plus les chances de succès sont importantes.
Et après ?
Avoir un PMF n’est ni une fin en soit, ni un acquis.
Comme l’explique Ben Horowitz, certains marchés évoluent rapidement et ce qui se révèle être un PMF à un moment peut vite être perdu. Si la concurrence est encore faible au moment où vous trouvez votre traction, ce sont les acteurs futurs qu’il faut anticiper.
Bref, le product/market fit n’est qu’une premiere étape.